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Un bref aperçu des confinements sporadiques - auxquels sont soumises plusieurs populations de par le monde depuis mars 2020 - supposerait des déséquilibres psycho-sociaux bien plus pernicieux et durables que la conjoncture coronavirale. Pour quelques rares personnes, cette réalité oppressive fut une aubaine : réorganiser son quotidien, apprendre une langue, exceller dans un domaine...
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Un rapide examen[1] des confinements sporadiques - auxquels sont soumises plusieurs populations de par le monde depuis mars 2020 - supposerait des déséquilibres psycho-sociaux bien plus pernicieux et durables que la conjoncture coronavirale. Pour quelques rares personnes, cette réalité oppressive fut une aubaine : réorganiser son quotidien, apprendre une langue, exceller dans un domaine. Dès lors, ce cantonnement est devenu une opportunité au travers de laquelle ils ont fait et feront preuve de résilience, et non de résignation. Gustave Flaubert fait partie de ces très rares privilégiés sur lesquels le confinement n’a aucune prise.
Aujourd’hui, en décembre 2021, que peut bien nous apprendre Flaubert ? De par sa vie, un acharnement dans le travail, une discipline inébranlable ; un quotidien dépouillé des distractions, débarrassé de tout artifice social ; une solitude, bien entendu, mais une solitude supérieure par le renoncement, par la privation. Travail, exigence, orgueil et solitude : voilà le bonhomme.[2] Confirmera Pierre Assouline. Celui qu’on nommera désormais l’Ermite de Croisset nous apprendra au moins une chose : pour celui qui est habité d’un idéal, l’événementiel n’existe pas. Flaubert sous Charles X, c’est le même Flaubert sous Napoléon III, exactement le même sous Emmanuel Macron.
Flaubert aurait eu de nos jours la même aversion pour les honneurs, il aurait tout autant exécré le petit manège du monde, cet art de donner des poignées de main et d'appeler "mon cher ami" des gens dont on ne voudrait pas pour domestiques.[3] Il aurait eu le même mépris royal pour l’argent et pour la compromission. Il n’aurait jamais abandonné cette recherche perpétuelle de l’esthétique absolue, cet ineffable livre sur rien, [ce] livre sans attache extérieure, qui se tiendrait lui-même par la force interne de son style[4]. D’aucuns n’y croient pas, ils nous disent que cette recherche idéaliste, quasi-mystique, est une feinte. Elle serait une fuite, une lâcheté pour ne pas assumer la lutte en société.
Pour l'ascète, c’est moins un évitement de la société qu’une profonde vocation. C’est une lutte à mort, son ultime guerre dont il sait qu’il ne réchappera pas. La preuve : tel un spartiate sur le champ de bataille, la plume à la main, il se perdra dans sa spirale, et dans son Bouvard et Pécuchet le 8 mai 1880.
Notes :
[1] Brooks, K.S. et al., The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence, Lancet 2020, volume 395, p.912–920. Publié le 14/03/2020.
DOI : https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30460-8
[2] ASSOULINE, Pierre, Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, Plon, 2016, p.314.
[3] Lettre à Louise Colet du 2 octobre 1852.
[4] Idem, 16 janvier 1852.
Bibliographie suggestive :
ASSOULINE, Pierre, Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, Plon, 2016.
BERTHELOT, Sandrine, Gustave Flaubert, Ellipses, 1991.
BIASI, Pierre-Marc de, Flaubert : l’homme-plume, Gallimard, 2002.
DUMESNIL, René, Gustave Flaubert, l’homme et l’œuvre, Temps et visages, 1943.
GUILLEMIN, Henri, Flaubert devant la vie et devant Dieu, Utovie, 1998.
GUINOT, Jean-Benoît, Chronologie Détaillée de la Vie de Gustave Flaubert. URL : http://flaubert.univ-rouen.fr/biographie/.
SCHOPENHAUER, Arthur, Parerga et paralipomena - Écrivains et style, livre électronique libre de droits. URL :
https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/ecrivains-et-style.pdf
SÉGINGER, Gisèle, Flaubert : Une éthique de l’art pur, Sedes, 2000.
WINOCK, Michel, Flaubert, Gallimard, 2007.