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En ces moments de désintégration des ultimes gravats de la tour de Babel, les Fables de Jean de La Fontaine s’imposeraient certainement comme des textes salvateurs. Méfiant ou blasé des discours des hommes, Jean de la Fontaine a doté le bestiaire de paroles pleines de sagesse et de raison. Nulle cacophonie, aucune profération narcissique, pas la moindre visée trompeuse et manipulatrice, ni de jargon suprémaciste relevant de l’escroquerie et de l’imposture, les animaux de Jean de la Fontaine, sublimes personnages de ses Fables, sont indéniablement pragmatiques, authentiques, laconiques surtout et enseignent de grandes leçons morales.
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Toujours d’actualité, et, aujourd’hui, plus que jamais, presque quatre siècles après sa mort, Jean de la Fontaine demeure une solide référence littéraire, poétique, morale, philosophique, psychologique, facile à lire, à la portée de tout un chacun.
Nombre de vers des Fables sont devenus des maximes, des adages, des proverbes mêmes, mais vidés ainsi de leur substance, extirpés de leurs contextes par la hâte des taxidermistes et autres empailleurs de tous bords, véritables fossoyeurs de la pensée noble et de la parole éducative. Ces vers, orphelins et amputés de leur aura poétique, deviennent des parpaings dans le mur infranchissable de la doxa planétaire actuelle, disent beaucoup plus un mutisme que la saine réflexion constructive, et relèvent de l’autoflagellation de la symptomatique attitude masochiste des discours actuels allant jusqu’à donner l’inexpugnable titre d’influenceurs à de pitoyables bipèdes empêtrés dans des discours crétinisants.
Aurait-on continué à enseigner, à lire et à faire lire, à apprendre, à jouer sous forme de saynètes les Fables de Jean de la Fontaine, le monde serait meilleur, et les hommes, autour d’une table ronde, s’entendraient, se comprendraient, coopéreraient, et sans doute, construiraient de grands œuvres. Un monde où ce ne sont plus des monstres mécaniques aux voix caverneuses, des êtres virtuels et fuyants, qui parleraient, mais des animaux doux ou féroces, proies ou prédateurs, naturellement beaux et naturellement raisonnables.
Toutes les capitales et les villes économiquement viables ont des zoos. Lieux de loisirs éthiquement condamnables. Mais c’est connu, ceux qui mettent des oiseaux dans des cages, ont accepté de vivre eux-mêmes dans des cages un peu plus grandes ou un peu plus petites. C’est selon. Un tigre, enfermé, auquel on jette régulièrement un quartier de viande choisi, découpé, manipulé, n’est plus un tigre. C’est l’ombre d’un félin, l’ersatz d’un superbe prédateur d’observation qui conditionne les hommes à tous les cycles de l’enfermement qu’ils subiront, de la pouponnière à la maison de retraite.
Les Fables de Jean de la Fontaine rendraient inexistants, sinon moins pénibles, ces chemins de croix d’enfermements et apprendront aux hommes à peiner, non pas pour gagner les faveurs de burlesques responsables, mais pour ne pas être un jour une quémandeuse cigale.
Puissions-nous revenir des discours pervers à l’ère bénie où les hommes s’exprimaient en vers.
Bibliographie suggestive :
BOUTANG, Pierre, La Fontaine politique, Albin Michel, 1981.
BURY, Emmanuel, L’esthétique de La Fontaine, Sedes, 1996.
COLLINET, Jean-Pierre, Le Monde littéraire de La Fontaine, Presses universitaires de Grenoble, 1970.
DODELLER, Sylvie, La Fontaine : En vers et contre tout !, École des Loisirs, 2017.
FUMAROLI, Marc, Le Poète et le Roi, Jean de La Fontaine et son siècle, Éditions de Fallois, 1997.